

Elles sculptent le silence
Dans le calme d’un geste ancien, elle taille la pierre comme on panse une blessure. Chaque éclat tombe, mais ce qu’elle construit, c’est une force nouvelle. Ces femmes ne cherchent pas à oublier. Elles transforment. Elles transmettent.
Et moi, je suis là, témoin de leurs renaissances, parfois guide, parfois élève. Ce lien-là, c’est aussi une œuvre.

Rejetés, battus, invisibles – et pourtant tellement vivants
ls dorment sous la pluie, le béton pour matelas, le caniveau comme refuge. Ils ne dorment pas vraiment...ils veillent dans la peur. La nuit est souvent plus violente que le jour. Accusés d’être des “enfants dits sorciers”, rejetés, battus, violés, haïs, ils apprennent à survivre avant de savoir lire. Leurs regards portent la faim...pas seulement de pain, mais d’amour, de justice, de paix. Et pourtant, certains jours, ils s’assoient. Écoutent. Tracent une addition sur un mur. Un fragment d’école surgit dans le chaos. Un fragment d’enfance aussi.
Bâtir un futur hors rue

Une école née de la rue
À l’origine, je n’étais pas venue à Kinshasa pour créer une école. J’étais venue pour acheter un terrain, poser les bases d’un éco-village pilote : des maisons Dômes, rondes, solides, écologiques, un système de biogaz, un potagers, d’arbres fruitiers, un espace de vie autonome. J’avais trouvé le terrain et je m’apprêtais à repartir. Ma première mission était accomplie.
Et puis, juste avant de prendre mon avion, je suis tombée sur Moïse.
Il n’avait pas ce regard dur et tendre qu’on romantise parfois. Il était mourant. Il faisait une septicémie. Un enfant des rues, légèrement autiste, de troisième génération né dans la rue, invisible pour tous, abandonné dans un état critique.
Et là, j’ai su que je ne pouvais pas partir. J’ai annulé mon vol. Je suis restée. Et tout a basculé.
Avec Moïse, puis avec d’autres enfants venus de la rue, on a créé une école, dans la rue même. Une école sans murs, faite de gestes quotidiens : des repas, des soins, de la danse, du foot, du théâtre, des sorties du dimanche. On riait, on apprenait, malgré la violence autour.
Mais on a été agressés constamment. Volés. Harcelés. Menacés.
Alors j’ai pris une décision difficile : j’ai emmené 12 enfants avec moi, et nous sommes allés vivre sur le terrain des maisons Dôme, qui n’était encore qu’un chantier de construction. On vivait au milieu de la poussière et des briques, mais au moins, ils étaient protégés. Les plus petits ont été scolarisés et les plus grands je les ai embarqués dans des pré-apprentissages sur le chantier. Pendant plus d’un an j’ai vécu avec les enfants sur ce chantier et la priorité était de construire avec eux leur maison.
Début décembre 2023, je suis tombée gravement malade et n’ai reçu les soins qu’une fois arrivée en Suisse en avril 2024. Pendant mon séjour ici, nous avons été pillés, moi et les enfants, par ceux à qui j’avais confié ma clé.
Sur les 12 enfants que j’avais pris avec moi, 7 sont malheureusement retournés dans la rue, ce qui me brise le cœur. Certains ont commis des crimes, d’autres n’ont pas voulu se soumettre à des règles comme aller à l’école. Nous manquions cruellement de personnel formé, d’éducateurs spécialisés pour ces enfants de la rue. Ce n’est pas un jardinier qui peut les éduquer, comme je l’ai appris à mes dépens. Aujourd’hui, je sais qu’ils se retrouvent de nouveau dans la rue, et je me sens impuissante face à cela.
Ce que nous avons vécu est vrai. Brut. Et précieux. Cette école née de la rue n’existe plus aujourd’hui, mais elle vit à travers mes œuvres, les pierres, les visages, les cicatrices et les espérances que je peins.
Parfois, je me dis que si je suis partie au Congo rien que pour Moïse, alors ça en valait déjà la peine. Aujourd’hui, il a un toit, des repas réguliers, quelqu’un pour veiller sur lui quand il est malade, un lit où poser sa tête. Il va à l’école, il reçoit une éducation.— imparfaite peut-être, mais réelle. Il n’est plus dans la rue. Il a le droit de jouer et d’être juste enfant. Lui Moïse, avec Émeraude, Savoix, Diego et Bron, ils sont ma consolation.
Un hommage à Kymia, ma chienne boerboel fidèle, la seule qui ne m’a jamais laissée tomber. Elle veillait sur moi et sur les enfants avec une tendresse exceptionnel et une force que je n’oublierai jamais.

Remerciement
À tous ceux qui m’ont soutenue, par vos prières, vos appels, votre présence, votre générosité, je vous adresse un grand merci. Que ce soit ici en Suisse ou là-bas en Afrique, vous avez été là, certains ont apporté des vivres, d’autres un peu d’argent, d’autres encore ont pris des enfants en charge ou simplement veillé à distance. Beaucoup ont fait des choses extraordinaires, pour moi, mais surtout pour eux. Et je ne veux jamais vous oublier. Sans vous, rien de tout cela n’aurait été possible.
Et peut-être un jour ce projet, que je le porte en moi comme on porte un battement de cœur revivra. Peut-être au Congo, peut-être ailleurs. La souffrance d’un enfant reste pareil peu importe le lieu.
Et maintenant?
Ce projet, dans sa forme initiale, s’est arrêté là. Mais je continue à accompagner les enfants à distance, à garder le lien, à rester présente autant que je peux.
Si un jour, quelqu’un ressentait l’élan de relancer ce type de projet — un village autonome, un centre de formation, ou autre — je suis là. Avec mon vécu, mon expertise du terrain, et surtout, avec tout ce que j’ai appris en vivant douze enfants de la rue dans les bras, sur un chantier de vie.
Je crois profondément que les projets qui tiennent dans le temps sont ceux portés par des forces rassemblées. Si vous avez des idées, des ressources, ou simplement le désir sincère de faire partie d’une telle aventure, alors peut-être que tout cela peut reprendre souffle, autrement, ensemble.